Quand les mains façonnent l’identité d’un territoire
Dans une époque dominée par la production de masse et la digitalisation, cinq artisans namurois perpétuent des savoir-faire millénaires avec une passion intacte. De la dinanderie aux arts de la table, du tissage à la taille de pierre, ces gardiens de traditions vivantes prouvent que l’authenticité et la qualité artisanale trouvent encore leur public. Portraits de résistants qui font battre le cœur créatif de la province de Namur.
Marcel Nulens, 89 ans : le dernier maître dinandier
Un héritage de quatre générations
À 89 ans, Marcel Nulens incarne la mémoire vivante de la dinanderie namuroise. Né dans une famille d’orfèvres, il se forme dès 1953 aux célèbres ateliers d’art de l’abbaye de Maredsous, temple de l’artisanat religieux belge où se côtoient sculpteurs, orfèvres et dinandiers.
Depuis son atelier de Fosses-la-Ville, Marcel perpétue un art ancestral : la tôle battue et ciselée. « Tout le monde m’appelle Mimi », confie-t-il avec malice. Derrière cette simplicité se cache un maître reconnu internationalement.
Techniques ancestrales et créations monumentales
Marcel maîtrise tous les outils traditionnels du dinandier :
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Pointerolle : pour dessiner les motifs
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Gradine : pour creuser les reliefs
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Boucharde : pour texturer les surfaces
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Marteau : pour bomber et marteler le métal
Ses œuvres les plus emblématiques ? La statue des Chinels de Fosses qui domine la ville, ou encore ses nombreuses pièces d’art sacré qui ornent églises et cathédrales. Chaque création nécessite des centaines d’heures de travail minutieux, un luxe que seul l’artisanat authentique peut encore s’offrir.
« La dinanderie, c’est 80% de technique et 20% d’inspiration. Mais sans ces 20%, on fait de la chaudronnerie, pas de l’art », philosophe Marcel.
Claudine Frisque : tisserande de la filière locale complète
« Les Tissages de Mamouche » à Malonne
Depuis plus de 30 ans, Claudine Frisque développe à Malonne une approche révolutionnaire du tissage : la filière 100% locale. Dans son atelier « Les Tissages de Mamouche », elle élève ses propres chèvres angora pour produire mohair et angora de qualité exceptionnelle.
De l’élevage au vêtement fini
Son processus fascine par sa complétude :
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Élevage : chèvres angora dans sa propriété de Malonne
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Tonte : deux fois par an, fibres triées manuellement
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Filage : transformation en fils sur rouets traditionnels
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Tissage : sur métiers à tisser manuels anciens
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Confection : vêtements sur mesure, écharpes, châles
« Quand je porte une de mes écharpes, je connais la chèvre qui a donné la laine, je sais quand elle a été tondue, j’ai filé le fil moi-même », explique Claudine au RTBF.
Innovation dans la tradition
Loin d’être figée dans le passé, Claudine adapte les techniques ancestrales aux goûts contemporains : coupes modernes, associations de matières, colorations végétales. Ses manteaux en mohair et ses écharpes en alpaga séduisent une clientèle urbaine en quête d’authenticité.
Philippe Monin : le potier-philosophe de Schaltin
« Potier et jattier » : une approche artisanale pure
Installé à Schaltin depuis les années 1970, Philippe Monin revendique le titre de « potier et jattier ». Cette formulation archaïque traduit sa philosophie : revenir aux fondamentaux du métier, loin des effets de mode.
Dans son atelier rural, Philippe façonne principalement des bols authentiques, ces « jattes » qui donnent son nom au métier. « Un bol, c’est simple en apparence, mais c’est l’essence même de la céramique : la forme parfaite pour tenir dans les mains ».
Maîtrise technique et démarche contemplative
Philippe Monin maîtrise toute la chaîne céramique :
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Façonnage au tour, gestes millénaires répétés
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Émaillage : recherche constante de textures et couleurs
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Cuisson : contrôle des températures et atmosphères
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Finitions : chaque pièce unique, jamais reproduite à l’identique
Ses créations récentes explorent des formes contemporaines complexes : lampes suspendues, vases sculptés, pièces abstraites. Une évolution qui témoigne de la vitalité créative de ce métier ancestral.
Pierre Boreux : sculpteur des pierres du pays
Tailleur de pierre, gardien du patrimoine local
Pierre Boreux incarne l’attachement au terroir namurois. Cet artisan humble, fidèle à sa région natale, sculpte exclusivement les pierres locales : calcaire de Meuse, grès d’Andenne, pierre bleue du Hainaut quand les chantiers l’exigent.
Spécialiste des arts utilitaires
Son atelier produit une gamme étendue :
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Fontaines et vasques pour jardins privés
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Éviers en pierre massive, sur mesure
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Art funéraire : stèles, monuments, gravures
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Hauts-reliefs décoratifs pour façades
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Éléments d’architecture : linteaux, appuis, balustrades
« Chaque pierre a son caractère, sa dureté, sa couleur. Il faut l’apprivoiser avant de la sculpter », confie Pierre lors des journées portes ouvertes organisées par l’Office des Métiers d’Art de la Province de Namur.
Extraction et taille : maîtrise complète
Pierre contrôle toute la chaîne, de l’extraction en carrière à la finition polie. Cette approche intégrée lui permet de sélectionner les blocs selon les projets, optimisant qualité et coûts pour ses clients.
La Biscuiterie Namuroise : transmission et innovation depuis 2019
Laurent et Paul : duo father & son moderne
Créée en 2019, La Biscuiterie Namuroise illustre parfaitement la transmission créative des savoir-faire. Laurent, boulanger-pâtissier expérimenté, s’associe à son fils Paul pour développement et commercialisation. Ensemble, ils ressuscitent les recettes de 1908 léguées par le grand-père.
Fabrication 100% artisanale
Leur approche tranche avec l’industriel :
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Pâte pétrie à la main dans l’atelier namurois
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Ingrédients belges privilégiés : beurre fermier, farine locale
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Cuisson traditionnelle : contrôle visuel et olfactif
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Conditionnement manuel : sachets individuels, étiquetage artisanal
« Nos biscuits ont le goût de l’enfance, mais avec la qualité d’aujourd’hui », résume Laurent.
Innovation respectueuse des traditions
Sans renier l’héritage familial, le duo explore de nouvelles saveurs : biscuits au spéculoos, aux pépites de chocolat belge, aux fruits secs. Cette créativité maîtrisée séduit une clientèle locale fidèle et attire les touristes en quête d’authenticité namuroise.
Ces métiers qui résistent : analyse et perspectives
Forces communes de ces artisans
Malgré la diversité de leurs métiers, ces cinq artisans partagent des caractéristiques remarquables :
Maîtrise technique absolue : Chacun contrôle l’intégralité de sa chaîne de production, de la matière première au produit fini.
Innovation dans la continuité : Loin d’être figés, ils adaptent constamment leurs créations aux goûts contemporains sans renier les fondamentaux.
Attachement territorial : Tous valorisent les ressources locales (pierre, laine, recettes familiales) et participent à l’identité namuroise.
Transmission vivante : Marcel forme des jeunes, Claudine enseigne le tissage, la Biscuiterie perpétue les recettes familiales.
Soutien institutionnel : l’Office des Métiers d’Art
Ces artisans bénéficient du soutien actif de l’Office des Métiers d’Art de la Province de Namur, qui organise :
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Journées portes ouvertes annuelles
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Formations continues techniques et commerciales
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Salons spécialisés : visibilité régionale et internationale
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Publications : bulletins, répertoires, promotion
Défis et adaptations
L’artisanat namurois affronte des défis constants :
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Concurrence industrielle : prix vs qualité
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Transmission des savoirs : difficulté à trouver successeurs
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Évolution des goûts : clientèle plus exigeante mais moins fidèle
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Coûts de production : matières premières, charges sociales
Pourtant, ces artisans prouvent que qualité, authenticité et savoir-faire trouvent encore leur marché, notamment auprès d’une clientèle urbaine éduquée et soucieuse de consommation responsable.
L’âme créative de Namur
Ces cinq portraits révèlent la richesse insoupçonnée de l’artisanat namurois. De Marcel, 89 ans, maître dinandier aux gestes centenaires, à Laurent et Paul qui réinventent la biscuiterie familiale, chaque parcours témoigne d’une passion indéfectible pour l’excellence artisanale.
Bien plus que des producteurs d’objets, ces artisans sont les gardiens d’une culture matérielle qui fait l’identité de la province de Namur. Leurs ateliers, ouverts aux curieux, rappellent que derrière chaque création se cachent des mains expertes, des années d’apprentissage et une philosophie du « bien faire ».
Dans une économie namuroise en mutation, ces métiers traditionnels qui résistent prouvent qu’innovation et tradition peuvent se conjuguer harmonieusement. Ils enrichissent l’offre touristique locale, forment les jeunes générations et maintiennent vivante cette culture du beau geste si caractéristique de l’esprit wallon.
Rendez-vous aux prochaines journées portes ouvertes pour découvrir ces talents d’exception !
FAQ – Artisanat namurois
Peut-on visiter ces ateliers ?
Oui, lors des journées portes ouvertes organisées par l’Office des Métiers d’Art ou sur rendez-vous pour certains artisans.
Où acheter ces créations ?
Directement chez les artisans, à la Boutique des Créateurs Namurois, ou lors des salons spécialisés.
Y a-t-il des formations à ces métiers ?
L’Académie des Beaux-Arts de Namur propose céramique et arts plastiques. La Spirale organise des stages découverte.
Ces objets sont-ils vraiment plus chers ?
Plus chers à l’achat, mais durabilité et qualité exceptionnelles. Investissement sur le long terme.
Comment soutenir ces artisans ?
Achats directs, bouche-à-oreille, réseaux sociaux, participation aux événements promotionnels.
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